
Aujourd’hui, un homme de 75 ans pourrait se présenter à mon cabinet avec de la fatigue, un essoufflement lors d’une activité légère et un gonflement autour des chevilles.
Il ressent ces symptômes depuis un certain temps, mais la situation s’est aggravée et son médecin de famille a récemment diagnostiqué une insuffisance cardiaque après avoir effectué des examens cardiaques. Il m’a alors été adressé pour une évaluation et un traitement. Telle est la réalité des personnes atteintes d’insuffisance cardiaque au Canada.
En tant que spécialiste de l’insuffisance cardiaque en Colombie-Britannique, il n’est pas rare que je voie des patients comme celui-ci. Malgré tous les efforts des patients, des soignants et des prestataires de soins de santé, les soins peuvent être fragmentés pour de nombreuses raisons, la qualité des soins peut en souffrir et les résultats en matière de santé sont souvent touchés. Sans surprise, l’insuffisance cardiaque est l’une des trois principales causes d’admission à l’hôpital au Canada, et un Canadien sur cinq retourne à l’hôpital dans les 30 jours1,2. Ce taux de réadmission n’a pas changé au cours de la dernière décennie, malgré les progrès considérables dans le traitement médical3.
« Malgré tous les efforts des patients, des soignants et des prestataires de soins de santé, les soins peuvent être fragmentés pour de nombreuses raisons, la qualité des soins peut en souffrir et les résultats en matière de santé sont souvent touchés. »
Le plus souvent, des signaux auraient pu être détectés et modifier la trajectoire. Ces signaux auraient pu éviter une admission ou une réadmission à l’hôpital, mais ils n’ont pas été perçus ou reconnus par le bon professionnel de la santé au bon moment. Cette maladie évolue vers une crise sanitaire pour le patient et une hospitalisation coûteuse et potentiellement évitable pour stabiliser la personne atteinte d’insuffisance cardiaque.
L’insuffisance cardiaque est une maladie chronique et évolutive qui nécessite une prise en charge continue1,2. Elle survient lorsque le cœur n’est pas en mesure de faire circuler correctement le sang dans tout le corps, à la suite d’une lésion cardiaque ou d’une faiblesse du cœur. Les personnes âgées de plus de 65 ans présentent le plus grand risque d’insuffisance cardiaque et leurs symptômes peuvent être les suivants :
- Ballonnements, perte ou changement d’appétit
- Gonflement des chevilles, des pieds, des jambes, du sacrum ou de l’abdomen
- Symptômes persistants de toux ou de rhume
- Fatigue extrême
- Essoufflement
- Confusion, troubles de la pensée ou étourdissements
- Augmentation des mictions la nuit
Comme indiqué dans les lignes directrices sur l’insuffisance cardiaque4 de la Société cardiovasculaire du Canada (SCC)/Société canadienne d’insuffisance cardiaque (SCIC), le diagnostic d’une personne atteinte d’insuffisance cardiaque nécessite une série d’examens, notamment :
- un échocardiogramme qui permet d’obtenir des images du cœur;
- un électrocardiogramme (ECG) qui enregistre les signaux électriques du cœur;
- des analyses de laboratoire avec des indicateurs clés qui signalent la présence ou l’absence d’une IC.
« L’insuffisance cardiaque peut être prise en charge par des médicaments, mais la capacité des personnes à accéder à ces médicaments varie en fonction de l’endroit où elles vivent. »
L’accès aux examens cardiaques appropriés continue de présenter des lacunes dans l’ensemble du Canada. Ce constat a été validé par une récente analyse environnementale des ressources, des services et des processus liés à l’insuffisance cardiaque étudiés dans les établissements de soins actifs et de soins ambulatoires. Les résultats ont révélé une variabilité géographique et des lacunes importantes dans la prestation et l’accès aux services d’insuffisance cardiaque dans l’ensemble du pays5. Les soins de santé au Canada ne sont-ils pas censés être universels?
Chaque année, 787 000 Canadiens reçoivent un diagnostic d’insuffisance cardiaque et, pourtant, des défis persistent en matière de traitement6. L’insuffisance cardiaque peut être prise en charge par des médicaments, mais la capacité des personnes à accéder à ces médicaments varie en fonction de l’endroit où elles vivent. Certains médicaments sont pris en charge par les régimes d’assurance-médicaments provinciaux, territoriaux ou fédéraux sélectionnés, alors que les personnes atteintes d’insuffisance cardiaque vivant dans d’autres parties du pays ne bénéficient pas de la même couverture7,8. Ce n’est pas surprenant, surtout si l’on considère que chaque régime d’assurance-médicaments a son propre ensemble de critères pour déterminer qui (s’il y a lieu) sera remboursé pour les médicaments contre l’insuffisance cardiaque. Même si les anciens médicaments contre l’insuffisance cardiaque sont pour la plupart remboursés au Canada, les médicaments plus récents et plus coûteux sont plus difficiles à obtenir bien qu’ils soient actuellement recommandés par les lignes directrices nationales. Par exemple, la quasi-totalité des formulaires (91 %) au Canada ne prévoit pas le remboursement de l’inhibiteur des récepteurs de l’angiotensine et de la néprilysine (ARNI), un traitement plus récent prescrit par les lignes directrices nationales sur l’insuffisance cardiaque.
L’accès aux médicaments est également retardé en raison d’un décalage entre le moment où les traitements se révèlent efficaces et celui où le médicament est présenté à Santé Canada, puis approuvé par celui-ci8. Il existe également une étape dans le processus de mise à jour des listes de médicaments en fonction des nouvelles données probantes sur les médicaments ou les variations de prix. Cela peut encore retarder l’accès à des médicaments qui pourraient sauver des vies. Entre tous les défis cliniques et administratifs, il n’est pas étonnant que moins de 70 % des patients canadiens admissibles suivent les traitements médicaux recommandés et que moins de 30 % atteignent les doses cibles de médicaments pour traiter l’insuffisance cardiaque9-13. Ce n’est pas un modèle durable pour nos systèmes de santé ou pour les patients que nous servons.
« Entre tous les défis cliniques et administratifs, il n’est pas étonnant que moins de 70 % des patients canadiens admissibles suivent les traitements médicaux recommandés et que moins de 30 % atteignent les doses cibles de médicaments pour traiter l’insuffisance cardiaque913. »
Ces défis sont également accentués par la pénurie de ressources humaines en santé dans le domaine des soins primaires. Les prestataires de soins de santé primaires, à savoir les médecins de famille et le personnel infirmier praticien, constituent la première ligne de défense lorsqu’il s’agit de diagnostiquer et de traiter les personnes atteintes d’insuffisance cardiaque. Pourtant, 6,5 millions de Canadiens n’ont pas de médecin de famille14. De plus, nous avons confié aux prestataires de soins primaires la responsabilité de prendre en charge les soins complexes des personnes atteintes d’insuffisance cardiaque lorsque les temps d’attente des spécialistes sont longs et ne sont pas favorables à ces médecins de premier recours.
Bien que les obstacles au diagnostic et aux soins de l’insuffisance cardiaque persistent, il y a des choses que les Canadiens peuvent faire pour parcourir ces systèmes de santé complexes afin de prendre en charge leurs soins. Voici des exemples :
- S’informer
Comprenez votre risque et examinez les signes et symptômes de l’insuffisance cardiaque. Apprenez-en davantage sur cette affection auprès d’une source fiable et réputée, comme la Fondation HeartLife ou la Fondation des maladies du cœur et de l’AVC.
- S’exprimer
Si vous ou un membre de votre famille présentez un ou plusieurs symptômes, consultez votre médecin de famille ou votre infirmier(ère) praticien(ne). Déterminez les symptômes et demandez de passer des examens complémentaires pour vérifier la présence ou l’absence d’une insuffisance cardiaque. Vérifiez si tous les examens sont couverts par votre régime d’assurance-maladie provincial, territorial ou fédéral.
- Entrer en contact avec d’autres personnes atteintes d’une insuffisance cardiaque
Il existe des communautés de personnes atteintes d’une insuffisance cardiaque qui peuvent vous aider à parcourir le chemin du diagnostic, de la prise en charge des soins, de la santé mentale et des changements au mode de vie, entre autres choses. Nous vous encourageons à prendre contact avec une organisation de patients comme la Fondation HeartLife ou la Fondation des maladies du cœur et de l’AVC.

Sean Virani
Président | Société cardiovasculaire du Canada
Chef | Division de cardiologie | Providence Health Care
Directeur du programme médical | The HEART Centre | St. Paul’s Hospital
Professeur associé | Département de médecine | Université de la Colombie-Britannique
Directeur médical | Fondation HeartLife
La Société cardiovasculaire du Canada a reçu une subvention sans restriction de la part de Médicaments novateurs Canada (MNC). MNC n’a eu aucune influence sur la conception ou la création de cet article et les opinions exprimées dans ce document sont celles de l’auteur uniquement.
Cet article d’opinion a été publié pour la première fois sur Healthing.ca, cliquez ici pour le consulter sur le site Healthing.
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Ressources sur l’insuffisance cardiaque à l’intention des patients
- Centre d’insuffisance cardiaque de la SCC (https://ccs.ca/guideline/2021-heart-failure-reduced-ef/) (en anglais seulement)
- A patient & caregiver guide: Understanding Guideline-directed medical therapy for heart failure with reduced ejection fraction (HFrEF) (https://ourhearthub.ca/heart-failure-medications-guide/) (en anglais seulement)
- Fondation HeartLife (https://heartlife.ca/fr/)
- Fondation des maladies du cœur et de l’AVC (https://www.coeuretavc.ca/)
Références
- Fondation des maladies du cœur et de l’AVC. Falling Short: How Canada is failing people with heart failure – and how we can change that. Disponible à l’adresse : https://heartstrokeprod.azureedge.net/-/media/pdf-files/canada/2022-heart-month/hs-heart-failure-report-2022-final. Consulté le : 20 avril 2022.
- Institut canadien d’information sur la santé. Hospital Stays in Canada. Disponible à l’adresse : https://www.cihi.ca/en/hospital-stays-in-canada. Consulté le : 11 mai 2022.
- Poon S., Leis B., Lambert L. et coll. « The state of heart failure in Canada: Minimal improvement in readmissions over time despite an increased number of evidence-based therapies », CJC Open, vol. 4 (2022), p. 667-675.
- McDonald M., Virani S., Chan M. et coll. « CCS/CHFS Heart Failure Guidelines Update: Defining a New Pharmacologic Standard of Care for Heart Failure With Reduced Ejection Fraction », Can J Cardiol, vol. 37 (2021), p. 531-546.
- Moghaddam N., Lindsay M.P., Hawkin N.M. et coll. « Access to Heart Failure Services in Canada: Findings of the Heart and Stroke National Heart Failure Resources and Services Inventory », Can J Cardiol, vol. 39, (2023), p. 1469-1479.
- Santé Canada. Système canadien de surveillance des maladies chroniques. Disponible à l’adresse : https://health-infobase.canada.ca/ccdss/data-tool/Comp?G=00&V=11&M=5. Consulté le : 8 janvier 2024.
- Laverdure M., Clifford C.R., Barry Q. et coll. « Can the Present Canadian Health Care System Provide Evidence-Based Pharmaceutical Care? Consideration of Two Important Cardiovascular Clinical Contexts », Can J Cardiol, vol. 41 (2025), p. 60-67.
- Virani S., Bains M., Code J. et coll. « The Need for Heart Failure Advocacy in Canada », Can J Cardiol, vol. 33 (2017), p. 1450-1454.
- Komajda M., Anker S.D., Cowie M.R. et coll. « Physicians’ adherence to guideline-recommended medications in heart failure with reduced ejection fraction: Data from the QUALIFY global survey », Eur J Heart Fail, vol. 18 (2016), p. 514-522.
- De Groote P., Isnard R., Clerson P. et coll. « Improvement in the management of chronic heart failure since the publication of the updated guidelines of the European Society of Cardiology: the impact-reco programme », Eur J Heart Fail, vol. 11 (2009), p. 85-91.
- Greene S.J., Butler J., Albert N.M. et coll. « Medical therapy for heart failure with reduced ejection fraction: the CHAMP-HF registry », J Am Coll Cardiol, vol. 72 (2018), p. 351-366.
- Lamb D.A., Eurich D.T., Mcalister F.A., et coll. « Changes in adherence to evidence-based medications in the first year after initial hospitalization for heart failure observational cohort study from 1994 to 2003 », Circ Cardiovasc Qual Outcomes, vol. 2 (2009), p. 228-235.
- Thanassoulis G., Karp I., Humphries K. et coll. « Impact of restrictive prescription plans on heart failure medication use », Circ Cardiovasc Qual Outcomes, vol. 2 (2009), p. 484-490.
- Duong D., Vogel L. « National survey highlights worsening primary care access », JAMC, vol. 195 (2023), p. E592-E593.
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